Un rotulus

 

Un rotulus, pourquoi ?

Le Fonds Claude Waridel détient un document particulier qu’on appelle un rotulus. Il s’agit d’un parchemin roulé – c’est le sens du mot latin – qui semble dater du milieu du XIVe siècle ; ses mesures : 74 x 30 cm. Ce document, rédigé en latin, est assez difficile à lire du fait qu’il contient beaucoup d’abréviations. C’est une pratique courante dans ce genre de document, mais cela pose tout de même un certain nombre de défis !

Que dit ce rotulus ? Il s’agit d’une « reconnaissance », c’est à dire un document dans lequel des hommes, des tenanciers, reconnaissent tenir les terres qu’ils exploitent des mains d’un seigneur moyennant une redevance. Cette reconnaissance équivaut en quelque sorte à une déclaration d’impôt renouvelée environ une fois par génération d’après la précédente, chaque terre étant liée à des droits seigneuriaux. En l’occurrence, le seigneur n’est pas désigné dans la partie conservée de ce rotulus, ce qui me permet de préciser ici que ce rotulus est incomplet, que ce n’est que la partie centrale d’un plus grand rouleau. En effet, d’une part on peut observer des points de couture de ce parchemin, autant vers le haut que vers le bas ; d’autre part, les premières lignes du texte que nous avons sous les yeux commencent par les mots : « le jour du même mois et année que dessus … » ; autant dire qu’une certaine frustration se fait jour, puisque la première partie du rouleau, perdu, devait mentionner clairement et la date et le suzerain. La fin manque également.

Néanmoins, grâce à la sagacité de mon ami Pierre-Yves Favez, que je remercie ici pour le temps qu’il a consacré à m’aider au déchiffrage et à la compréhension du document, ce dernier a commencé de livrer quelques indices sur les seigneurs propriétaires des fonds, ce qui permet aussi d’avancer une hypothèse de datation.

D’abord, ce qui ressort clairement de la lecture du rotulus est qu’il est bien situé dans la région qui nous intéresse. Plusieurs villages voisins de Prahins sont mentionnés : Donneloye, à plusieurs reprises, Orzens, de même qu’Oppens et peut-être Chêne-Pâquier (Les Chênes).  Tout semble tourner autour de Donneloye, ce qui a orienté notre recherche vers ce village ; les quelques indications sur le seigneur des lieux – un fils d’une Dame, veuve, qui héritera des terres après le décès de celle-ci – permet de proposer l’hypothèse suivante : il pourrait s’agir de Jaquet II de Goumoëns; en effet l’article « Donneloye » du Dictionnaire historique vaudois (DHV)[1] mentionne deux Jaquet de Goumoëns ou de Donneloye: Jaquet I (1318-1354) et son fils Jaquet II (1353-1369) ; il se pourrait donc que la dame usufruitière de notre texte soit Béatrice de Goumoëns, veuve de Jaquet, lui-même fils de Perronnet de Goumoëns, donzel de Donneloye. Dans ce cas, le document doit être postérieur à 1354, peu après le décès de Jaquet I.

Mieux, mes recherches les plus récentes (sur les plans anciens des villages mentionnés) montrent que l’écrasante majorité des noms de lieux sont situés sur le territoire d’Oppens. Ce qui peut donner un indice sur la question : que fait ce rouleau de parchemin dans les papiers de famille des Waridel ? Ce qui est sûr, c’est que le nom « Vuaridel » n’apparaît pas dans le texte, et qu’aucun des terrains connus comme ayant appartenu à des Vuaridel dans les siècles postérieurs ne paraît être mentionné. Mais le fait est que l’épouse de Robert Louis Waridel – grand-père du propriétaire actuel de la ferme de Prahins, d’où vient le parchemin – est une Pitton d’Oppens. Le rouleau pourrait donc être parvenu entre nos mains par cette personne, sans qu’il faille cherche un lien avec une Vuaridel.

Peut-être aussi, les parties manquantes de ce rotulus se cachent-elles quelque part et seront retrouvées un jour, permettant de résoudre définitivement l’énigme ?!

Il reste donc beaucoup de points à élucider avant de publier le texte complet de ce rotulus ; un vaste champ d’investigation est devant moi : des dizaines de noms de lieu apparaissent dans les 85 lignes de ce précieux document, et  restent à identifier précisément, ainsi qu’au moins six familles différentes.

Pour terminer cette brève notice, voici la transcription des cinq premières lignes, avec une traduction.

 

« Item die quarta mensis Julii anno quo supra »

De même, le 4e jour de juillet de l’année (comme) ci-dessus. 
Au début de chaque paragraphe (ici, le 4e), on trouve cette précision… qui nous laisse sur notre faim !

ITEM die eiusdem mensis et anno quo supra Cristinus filius  quondam Jacobi Villan confitens juramento suo supra sancti Dei evangelia corporaliter prestito esse hominem perpetuo pro se et suis heredibus dicti domini et suorum et suis heredibus dicti domini et suorum heredum et se tenere a dicti domini tam quam perpetualiter et a dicta domina tanquam usu fructuaria res infrascriptas : primo in Campo Pommeret tres posas terre, affrontantes super viam de la Chinaletaz ex una parte et iuxta terram Jaqueti Marchiam ex altera, et affrontat peciam terre quam tenet Perrerius filius Johanodi  Marchiam ex altera…

ITEM, le jour du même mois et l’an que dessus, Christin, fils de feu Jaques Villan confessant par son serment prêté corporellement sur les Saints Evangiles de Dieu, être perpétuellement, pour lui et ses héritiers, homme dudit seigneur et des siens et des héritiers dudit seigneur et de leurs héritiers, et de tenir dudit seigneur aussi perpétuellement et de ladite dame en tant qu’usufruitière les choses suivantes : primo, Au Champ Pommeret, trois poses de terre, affronte la partie supérieure de la route de La Chenalettaz d’une part et jouxte la terre de Jaquet Marchand de l’autre, et affronte la pièce de terre que tient Perrier, fils de Johanod Marchand de l’autre côté…

 

Marc Varidel, mai 2019

[1] DHV i, p. 627 ; voir aussi l’article de Pierre-Yves Favez sur les chevaliers de Donneloye dans le BGV de 2001 ; on trouve p. 44, un Perronet de Donneloye qui prête hommage le 15 juin 1352 au nouveau baron de Vaud, et on  rencontre le 19 novembre 1356 un Jaquet fils de feu Perronet de Donneloye.